William Giraldi, fils de prolo hypersensible devenu body-builder puis écrivain et prof de littérature raconte. Qu’est-ce qui nous étonne le plus dans cette phrase ? La densité de liberté humaine qu’elle contient, sans doute. Et les promesses de révélations qu’elle suggère. On pensait n’en avoir jamais fini de faire le tour du « continent noir » du désir féminin. à l’abordage du continent rouge, à présent ! Celui, musculeux et fébrile, vulnérable et pressé, mécanique et éperdu, de la virilité. Si notre maison avait passé commande à une plume éprouvée d’un récit ultra-personnel doublé de l’analyse sociologique, philosophique, économique et historique de son expérience de la condition masculine dans l’Amérique de Reagan et de Raymond Carver, de Schwarzenegger et de Bruce Springsteen, nous n’aurions pas fait mieux. C’est fou ce qu’on apprend de choses dans ce récit détaillé qui alterne descriptions des séances d’entraînement, flashes back sur la genèse d’une relation père-fils en lambeaux, peinture crue de l’incompréhension familiale (« Tu veux un poème ? demande son grand-père à William. écoute ça : “Ta maison / Pue du fion” »), citations littéraires en pagaille, et quadrillage méthodique des territoires oubliés de l’American dream. Parmi ces infos, la plus émouvante n’est-elle pas celle-ci ? C’est la déchirure des tissus pendant l’effort, signalée par la douleur, qui permet le développement des muscles. Plus on mange, plus on se repose, plus la masse musculaire augmente en se réparant. Quelle douleur intime avertira de ses déchirures l’Amérique blessée de l’ère libérale ? Quelle croissance les réparera ? Quand se reposera-t-elle, et de quoi nourrie ? William Giraldi, l’amateur de mythes et de héros grecs, l’auteur de Aucun homme ni dieu, vient bel et bien d’écrire non seulement son récit le plus intime, mais une allégorie. Le Corps du héros, grand roman non fictionnel, est un geste magnifique à l’égard de toutes celles et ceux qui doivent s’émanciper et conquérir leur propre liberté. L’écriture est bien ce qui sauve.
Valentine Gay
Le Corps du héros de William Giraldi traduit de l’anglais (États-Unis ) par Vincent Raynaud.
En librairie le 31 janvier 2018. 304 pages – 22 euros.