L’histoire ne se répète pas, elle bégaie. La première fois comme une tragédie, la seconde fois comme une farce. Parfois, pourtant, l’histoire d’une tragédie se répète sous forme de nouvelle tragédie. C’est ce que nous révèle le livre que David Grann vient de tirer de ses années d’exploration minutieuse des archives du FBI ainsi que du territoire et de la mémoire du peuple amérindien osage. Sans possessions matérielles, nomades, farouchement libres, les Osages furent jalousés, méprisés, exterminés. Devenus richissimes grâce au pétrole au-dessus duquel s’étendait le territoire désolé qu’on leur avait attribué, désormais sédentaires et toujours libres, les Osages seront de plus belle jalousés, méprisés, exterminés. Aussi longtemps que ce péché originel restera tu, comment le pardonner ? Bâtie sur un massacre et des ruines, la nation américaine se condamne, en détournant les yeux, à perpétrer et perpétuer ruines et massacres. Le récit trépidant de Grann – un retour halluciné sur la période appelée « le Règne de la terreur » – est construit comme une de ces empreintes digitales que les policiers commencent à relever au cours de ces années : sillons parallèles troublants, tête à queue, centre introuvable, retours labyrinthiques, piste longue, interruption brutale… jusqu’à ce que, enfin, le doigt se pose pour pointer une vérité qui laisse pantois. Un page-turner, ce livre ? Bien sûr, tant il captive, agrippe et tient en haleine, avec ses héros sans peur, ses hors-la-loi pathétiques, ses secrets de famille à tiroirs, sa Prairie hérissée de derricks et de canons sciés. Mais, entre deux tours, il nous laisse songeurs, désemparés, révoltés. Alors nous comprenons que La Note américaine, c’est le ton de blues qu’adopte sempiternellement la mélopée des bénéficiaires de l’american way of life ; c’est encore la fiche de renseignements méticuleuse glissée dans un dossier confidentiel du FBI et destinée à y dormir longtemps ; c’est enfin l’addition que n’en finit pas de présenter au Gendarme ensanglanté du monde le long cortège de ses victimes expiatoires.
Valentine Gay