Antônio Francisco Bonfim Lopes est connu dans tout le Brésil sous le nom de Nem de Rocinha, l’homme qui, jusqu’à son arrestation en novembre 2011, a dirigé la favela où il est né et a grandi.
S’il était le chef de la plus importante concession de cocaïne de la ville, ses responsabilités ne s’arrêtaient néanmoins pas là. Comme il n’y avait aucune police dans Rocinha ni dans aucune autre favela de Rio, cent vingt hommes armés, placés sous le commandement direct de Nem, faisaient office de forces de l’ordre. Nem était donc également le chef de la police. Cette double casquette faisait de lui, de facto, le président de la favela. Sa parole faisait loi.
Comment un jeune homme ayant quitté l’école aussi tôt et ayant mis un pied dans le trafic de drogue à l’âge tardif de vingt-quatre ans (âge auquel la plupart des membres des cartels sont soit morts, soit à la retraite) a-t-il accédé, avant ses trente ans, à la tête d’une commune de taille moyenne, en plein cœur d’une des villes les plus iconiques du monde ?
C’est la question que je me suis posée quand j’ai commencé à rédiger sa biographie en 2012, quelques mois après son arrestation. J’espère avoir trouvé quelques réponses.
Toutefois, le principal intéressé ne peut pas en juger par lui-même. Comme tous les autres détenus, il est enfermé seul dans une cellule jusqu’à vingt-trois heures par jour. Il n’y a pas grand-chose à faire, dans un pénitencier fédéral, et la télévision, tout comme les quotidiens, n’est pas autorisée.
Il a le droit de lire des livres, mais ceux-ci doivent provenir de la bibliothèque du pénitencier et avoir été approuvés. Aucun détenu ne peut consulter d’ouvrage traitant de violence ou de criminalité. Nem de Rocinha étant jugé comme entrant dans cette catégorie, nous en sommes arrivés à la situation absurde où Antônio Bonfim Lopes n’est pas autorisé à lire l’histoire de sa propre vie.
À mon arrivée au pénitencier, je suis fouillé à plusieurs reprises et soumis à un détecteur de métaux, ainsi qu’à des contrôles biométriques, avant d’être conduit dans une petite alcôve, séparée d’une sorte de salle de classe par d’épais barreaux d’acier. De l’autre côté, Nem est assis, grand, mince et calme. De sa voix posée, il me demande poliment comment le livre a été accueilli au Brésil et dans le reste du monde.
En dehors de cela, je lui explique que son histoire va être portée à l’écran par un réalisateur hollywoodien qui souhaite néanmoins tourner le film à Rocinha et en portugais. Il s’agit donc de transformer un ouvrage de non-fiction en une fiction cinématographique, et cela implique toute une série de questions juridiques complexes. Nem n’y voit pas d’inconvénients, ce qui est un soulagement. S’il avait refusé, il aurait été impossible de filmer à Rocinha. Nem ne dirige peut-être plus les opérations, mais il est encore vénéré comme un demi-dieu au sein de la communauté. Son désaccord aurait rendu le tournage impossible dans Rocinha.
Le sujet le plus important reste cependant son procès, prévu le 6 décembre prochain, pour le meurtre de deux jeunes femmes qui ont disparu à Rocinha et ont été aperçues la dernière fois en avril 2011. J’ai enquêté sur cette affaire pour mon livre, et c’est l’une des plus troubles que j’aie jamais rencontrées.
Pour Nem, ce sera le jour du jugement. S’il est acquitté, il pourra commencer à envisager sa libération, vers 2020. S’il est jugé coupable, il restera derrière les barreaux la plus grande partie de sa vie.
– Misha Glenny, été 2016
[Photo : © Gabriela Moreira/Agência o Dia]