Alors que tous les yeux se tournent vers Rio pour l’inauguration des jeux Olympiques, j’entreprends le pénible voyage de São Paulo à Porto Velho, capitale de l’État du Rondônia, située sur l’imposant rio Madeira, en plein cœur de la forêt amazonienne.
Cette rivière est tout simplement énorme. Cependant, elle ressemble plus à un grand lac perdu dans les terres, en raison de la sécheresse prolongée qui affecte la région. L’eau a récemment atteint son niveau le plus bas : 3,79 mètres, soit deux fois et demie moins que sa profondeur habituelle à cette période de l’année. Parmi les multiples crises auxquelles est confronté le Brésil depuis plusieurs années, la moins connue est sans doute la sécheresse persistante qui sévit dans plusieurs régions, depuis des portions de l’Amazonie, au nord-ouest, jusqu’au grand bassin économique de Saõ Paulo, dans le sud.
Le lendemain, je remonte en taxi pendant cinquante minutes la route qui longe la rivière, en direction de sa source, plus loin au sud-ouest dans les Andes boliviennes. En dehors de quelques touffes de forêt, la terre est nue, car elle a été défrichée pour laisser la place à d’immenses exploitations ou à des ranchs. Le Rondônia détient un record : celui de la déforestation la plus massive de toute l’Amazonie. L’été amazonien touche à sa fin et tout est sec comme de l’amadou. C’est la « saison brûlante ». Le soir, Porto Velho est baigné d’un halo rougeoyant et une neige épaisse et noire s’abat sur la ville. La forêt est si sèche qu’il suffit d’y mettre le feu pour déboiser, avant de construire des fermes.
Depuis quelques années, l’abattage et le défrichage légaux et illégaux sont en augmentation, conséquence de la politique de la présidente Dilma Rousseff, qui a tenté de gagner les faveurs du lobby prétendument « ruraliste » au Congrès, afin de consolider les fondations chancelantes de son autorité. Étant donné la procédure de destitution qui est en cours, il semble que cette stratégie n’ait pas vraiment payé – ni pour elle ni pour l’Amazonie.
Toutefois, ce n’est pas pour enquêter sur l’impact de la déforestation ni sur celui d’El Niño ou du changement climatique que je me trouve ici. Au bout de soixante kilomètres, j’arrive devant un bâtiment trapu jaune et rouge qui se dresse derrière une forêt de barbelés et de miradors. C’est l’un des quatre pénitenciers fédéraux à sécurité maximale du Brésil.
Les deux premiers ont été inaugurés en 2006 ; les deux autres, dont celui de Porto Velho, ont suivi trois ans plus tard. Rien à voir avec les tristement célèbres prisons sud-américaines, où corruption, meurtres et émeutes sont autant de réponses à la surpopulation carcérale chronique et au manque de moyens. Les pénitenciers fédéraux sont réservés aux plus grands criminels.
Porto Velho, le plus isolé des quatre, occupe une place à part. Chacune de ses quatre ailes accueille des membres des quatre gangs les plus puissants et les plus violents du Brésil : trois de Rio et un de São Paulo. Au total, il y a deux cent quarante détenus. « Si la prison est une université du crime, m’a expliqué un avocat de Porto Velho avant que je ne prenne la route pour le pénitencier, alors celui-ci est réservé aux doctorants. »
Imaginez la mafia russe, les cartels mexicains et la Camorra napolitaine réunis dans un seul et même lieu, et vous commencerez à comprendre le degré de puissance criminelle qui est enfermé derrière ces murs.
– Misha Glenny, été 2016
[Photo : © Simon Nogueira/Campo Grande News]