À l’occasion de la parution en France de Nem de Rocinha, Roberto Saviano a tenu à saluer le « compte rendu vif et fascinant » proposé par Misha Glenny, écrivain et journaliste « d’une puissance hors norme ».
Nem de Rocinha est l’histoire d’un homme comme les autres, Antônio, un Brésilien comme il y en a des millions. Il se fait appeler Nem, c’est un travailleur opiniâtre, un jeune père aimant. Quand on diagnostique à sa fille une maladie rare, il doit chercher de l’aide dans la tristement célèbre favela Rocinha à Rio. Car il vit dans une de ces fractions de monde où les hommes sont souvent contraints de faire des choix déchirants, suspendus entre le bien et le mal. Pris dans une réalité corrompue, violente, gouvernée par le hasard et abandonnée des institutions, Nem décide de réagir de la seule façon qui ait un sens à ses yeux : en se battant. Mais comment ? Comme on le fait lorsqu’on vit dans des pays où il n’y a qu’une issue possible. Nem comprend que prendre la tête d’un trafic de drogue organisé et contrôlé est un moindre mal au regard de rejoindre un réseau de voleurs et de braqueurs, un de ces groupes nombreux et omniprésents qui opèrent en toute impunité et écrasent son quotidien. Voici donc un homme respectable qui, la veille encore, était livreur de journaux, et devient le caïd d’un des principaux cartels de la drogue au Brésil […].
Nem de Rocinha est l’histoire d’Antônio, mais c’est aussi un livre sur les hommes et, dans le même temps, une enquête sur le Brésil. C’est un livre qui montre le besoin de revanche et qui prouve de façon imparable que le bien et le mal se retrouvent toujours dans des camps inattendus. Car il y a de l’humanité chez les individus les plus barbares et de la corruption chez les plus intègres. Ce n’est pas qu’une question d’apparences, le récit de Misha Glenny va plus loin, il plonge au cœur de la complexité de nos vies, dans les dynamiques multiples et entremêlées qui naissent des difficultés du système capitaliste. Nem de Rocinha est le compte rendu vif et fascinant de cette multiplicité. Pour l’écrire, Misha s’est immergé dans les favelas, il a appris le portugais et n’a pas lésiné sur les entretiens avec Antônio Francisco Bonfim Lopes (car le livre raconte une histoire vraie, il cite des noms et des faits avérés, il est bon de le rappeler) pour comprendre ce que c’est non pas que de vivre à la périphérie du monde, mais d’être en son centre, le moteur qui propulse l’économie […].
Lisez ces pages, additionnez Breaking Bad et La Cité de Dieu, et vous obtiendrez l’image parfaite du Rio qui sert de décor au monde de Nem. Jamais le Brésil ne vous aura paru si sanguinaire. Pourtant, vous n’éprouverez aucune peur, uniquement de la curiosité. Et ce ne sera pas un intérêt morbide, mais la volonté de comprendre le fonctionnement du monde, en particulier celui qui vous est proche. Vous ne pourrez pas vous empêcher de parcourir ces routes et de vous pencher sur ces histoires, mais vous n’aurez aucune sympathie pour le mal qui en est le personnage principal ; à l’opposé, vous aurez une sympathie immense, illimitée, pour leur vérité.
— Roberto Saviano, juin 2016
L’intégralité de ce texte traduit de l’italien par Vincent Raynaud est à découvrir dans Nem de Rocinha, disponible à partir du 17 août aux éditions Globe.