Celui qui va vers elle ne revient pas, de Shulem Deen, paraîtra aux éditions Globe le 1er mars 2017. Découvrez ici en exclusivité un extrait du premier chapitre :
« On raconte que tu es un apikorus. On raconte que tu ne crois plus en Dieu. » Il haussa les épaules jusqu’à ses oreilles, les yeux écarquillés, les mains ouvertes. « Comment est-il possible de ne pas croire en Dieu ? Sincèrement, je n’en sais rien. »
Il semblait réellement perplexe. Pour un homme de son intelligence, la question méritait réflexion. Il aurait aimé l’aborder s’il en avait eu le temps, mais, ce soir, le moment paraissait mal choisi. Laissant la question en suspens, il entreprit d’énumérer les rumeurs qui couraient à mon sujet.
Je critiquais le rebbe.
J’avais cessé de prier.
Je dénigrais la Torah et l’enseignement des Sages.
Je cherchais à corrompre d’autres membres de la communauté. Des jeunes gens. Des innocents.
On disait même que j’avais corrompu un étudiant de la yeshiva pas plus tard que la semaine précédente. Si la rumeur était vraie (mais Mendel n’en avait pas la certitude), j’avais tant bouleversé ce garçon qu’il avait quitté la demeure familiale et s’était installé à Brooklyn avec des goyim. On racontait qu’il avait l’intention de s’inscrire à l’université.
À présent, poursuivit Mendel, les membres de la communauté estimaient qu’il fallait prendre des mesures. Ils étaient très inquiets. Le bezdin doit faire quelque chose, répétaient-ils.
« Si les gens pensent que le bezdin doit agir, nous ne pouvons pas rester les bras croisés, comprends-tu ? »
Assis à l’extrémité de la table, Yechiel Spitzer coinça une papillote sous sa lèvre inférieure et glissa distraitement un cheveu entre ses incisives. Les trois rabbins écoutaient en silence, les yeux baissés.
« Nous ne souhaitons causer de tort à personne, reprit Mendel. Ni à toi ni à ta famille. Cependant… »
Il s’interrompit et jeta un regard au dayan, avant de poser ses mains à plat sur la table, les yeux braqués sur moi.
« Nous estimons que tu dois quitter le village. »